Il existe des auteurs dont on entend parler par aucun grand média, ou site que l'on visite régulièrement. Vous savez... Ces auteurs qui font leur chemin de leur côté, et qui récoltent des prix dans les festivals de polar. Et pourtant, personne ne semble vouloir en parler. Ou alors de façon discrète, comme s'il ne fallait pas trop en parler de peur que les autres en parlent aussi. Christian Roux fait partie de ces auteurs. Son parcours est discret mais conséquent. Dès son premier roman, il est salué par la critique et les festivals. Et pourtant, on entend peu parler de lui et de son oeuvre. Non non... le mot oeuvre n'est pas trop grand. De véritables thématiques se retrouvent dans ces trois romans: la détresse sociale, l'abandon de soi mais également une remise en cause de soi qui amène à une meilleure estime de soi-même.
Mais Christian Roux n'est pas seulement cette vision pessimiste de la vie. Il n'est pas synonyme de désespoir. Il est surtout synonyme d'estime de soi et de courage. Ses héros ont tout contre eux et pourtant cherche cette vérité qui leur fera plus de mal que de bien. Mais c'est la Vérité, alors elle doit être dite. Mais l'homme derrière les livres est également un artiste complet. Il appartient à cette catégorie d'artiste qui s'essaie à plein de domaines pour s'exprimer au maximum. Musicien de formation, un album est prévu pour l'automne 2007, et une pièce de théâtre dont il s'occupe de la musique est des effets sonores est en tournée. Mais nous en parlerons un peu plus tard.
Écrivain, musicien, chanteur... Un dernier mot résume notre homme. C'est un citoyen. Au sens noble du terme. Dans chacune de ses œuvres, tant écrite que jouée, il est question du désordre organisée politiquement et socialement. C'est un homme engagé qui s'immerge dans la vie de la cité. Laissez-moi vous le présenter!
Christian Roux: Un homme derrières les maux
Né en 1963. Lauréat au concours général d'éducation musicale en 1981. Tout à tour instituteur, berger, employé de librairie, caissier, magasinier, coursier, déménageur de décor, machiniste constructeur, pianiste de bar, peintre en bâtiment... Il devient intermittent du spectacle en 1997 et parvient à ne plus se consacrer qu'à la musique et à l'écriture.
Christian Roux s'était fait remarquer entre autres avec son roman Braquages. Après le discret Placards, il prouve avec Les ombres mortes qu'il fait plus que tenir ses promesses, entraînant son lecteur dans un machiavélique récit où le suspense fait écho au tragique dans un jeu de perpétuels rebondissements.
Il n'oublie pas pour autant ses premières amours: la musique. Il continue dans cette voie en illustrant musicalement une pièce de théâtre. Illustration qui obtient le prix de la critique. Ce touche-à-tout remporte l'adhésion dans tout ce qu'il fait. Et pourtant, il ressent l'envie de se mettre en danger, de s'ouvrir beaucoup plus. Il veut que les lecteurs sachent véritablement qui il est. Et il publie son second roman, Placards. Il n'a pas le succès de son précédent. Il faut dire qu'ils n'ont rien en commun. Tandis que le premier nous peignait un monde noir mais où une certaine lueur bienveillante existait, ce second livre nous dépeint un univers de chaos pessimiste où l'espoir n'a pas sa place. Malgré cela, ce livre très sombre est le préféré de l'auteur parce que le plus personnel. Cet aspect se ressent très nettement à la lecture. En lisant ce roman, vous apprendrez à connaître l'homme derrière les mots. Et surtout, les thématiques chères à l'auteur sont présentes dans ce livre comme dans les autres.
Christian Roux: Une œuvre derrière les mots
Christian Roux s'est donc fait connaître en 2002 par Braquages qui a obtenu le prix du premier polar SNCF de 2002, puis le prix polar 2003 de Saint-Quentin en Yvelines. La machine est lancée pour un premier roman, et les lecteurs apprécient cette histoires de SDF et de complot. Pourtant ils boudent le second. Trop personnel et trop noir pour eux. Une nouvelle édition par Folio est prévue. Espérons qu'elle aura le même succès que le troisième et dernier livre à ce jour de notre homme, Les ombres mortes. Dès lors, il a déjà été récompensé en décembre 2006 par le prix du meilleur polar francophone de la ville de Montigny-lès-Cormeilles. Trois polars où se mêlent le doute de soi et l'envie de connaître la Vérité. Même si cette vérité fera plus de mal que de bien, comme je le disais plus haut. Une véritable somme de thématiques se retrouve dans ces trois livres.
Le premier thème qui vient épaissir ses histoires est la détresse sociale. Ces héros, ou plutôt anti-héros, sont des femmes ou hommes qui ont un vécu socialement déséquilibré et désorganisé. Il s'agit de ces oubliés qui sont ou trop dans la misère ou pas assez pour que l'on en parle. Et surtout ils sont isolés dans leur malheur. Alors ça n'attire pas le chaland et sa curiosité naturelle. Pas assez spectaculaire. Et en ce sens, Christian se rapproche de son modèle Jean-Claude Izzo, cet auteur marseillais qui a centré son œuvre sur la simplicité de la misère. Pas besoin de créer une catastrophe économique ou naturelle pour étudier la misère et la mettre en avant. Il nous suffit de sortir de chez nous, et d'ouvrir les yeux. Ainsi, ces deux auteurs ont mis en avant dans deux histoires totalement différentes et tout aussi fortes ces personnes que l'on ne voit plus et qui disparaissent de moins en moins sur nos rues. Ils ont écrit sur les SDF mais pas pour qu'on les plaigne mais pour que l'on réfléchisse à leur place dans notre société. Et ces deux écrits vont jusqu'à nous prévenir qu'il serait temps que l'on règle ce problème sinon la bombe risque d'exploser assez violemment. Si Roux nous dépeint cette menace sous forme de polar, Izzo lui a préféré la fresque sociale et humaine avec Le soleil des mourants.
Chez Roux, la détresse sociale est également présente dans Les ombres... à travers deux jeux de personnages. Tout d'abord, ce flic amoureux de la liberté au point de tomber amoureux d'une immigrée clandestine. Il lui promet monts et merveilles au point de tout faire pour lui obtenir des papiers. Il est moche tant physiquement que socialement. Et tente de survivre dans ce monde qui le rejette pour autant de raisons, tant bonnes que mauvaises. En parallèle, vous avez ses parents qui veulent venger leur enfant. Ils l'ont perdu et considère avoir tout perdu en même temps. Il ne leur reste rien alors pourquoi continuer cette vie. Autant l'instrumentaliser. Et c'est tout naturellement qu'ils se retrouvent avec ce flic revanchard et blasé.
Dans Placards, la détresse est tout autre. Il s'agit de celle qui touche les enfants. Il s'agit de cette violence physique et morale qui crée un vide difficile à combler une fois adulte. A travers les trois personnages, nous avons les trois stades d'évolution de cette détresse: la victime présente qui est détruite, la victime passée qui tente de se reconstruire, et le coupable qui subit sa tare. Un récit fort où les trois tentent de se retrouver avec leurs propres démons. Certains y arrivent, d'autres pas. C'est le propre de la détresse. Mais ce n'est pas une violence morale gratuite que nous dépeint Christian Roux. Non... Pour contrebalancer ce pessimisme, les personnages luttent pour la confiance, et l'estime de soi. Et ils y arrivent mais non sans mal.
Quatre SDF sont engagés pour un braquage, et sont roulés par leur commanditaire. Vous aurez reconnu le rapide pitch de Braquages. Des gens qui n'ont plus rien à perdre, même plus l'estime de soi. Des ces personnages, l'auteur va sortir des héros de romans comme on en a peu vu. Ils partent du plus bas pour obtenir une espèce de reconnaissance d'eux-même. Mais cette lutte n'est pas simple et évoluera à travers l'ensemble du roman. Par conséquent, un enseignement est à tirer de ce polar: pour exister pour les autres, il faut exister pour soi avant tout. Et cette leçon revient en filigrane dans Les ombres... Dans un premier temps, par cet amnésique qui se bat contre lui-même et contre ses appréhensions pour retrouver sa véritable identité et son passé. Tout au long du roman, il devient un autre. Pour le meilleur? Il ne sait pas trop. Mais, comme je l'ai déjà dit, c'est pour la vérité, alors le jeu en vaut le coup pour lui. Mais cette thématique est également présente de ce roman à travers le personnage du flic, le commissaire Degrave, qui vient de Braquages. Il finit dans ce troisième roman son parcours initiatique. Et se retrouve enfin avec lui-même.
Pour Placards, la lutte est moins heureuse. Si certains personnages parviennent à se sortir un tant soi peu de cette détresse, d'autres s'y enfoncent plus profondément encore. Mais l'important est qu'ils essaient de se sortir de cette mélasse dans laquelle la Vie les a mis. Et cette lutte existe pour chacun d'entre eux. De fait, ces trois romans sont liés inéluctablement. Une même force et une même envie les guident. Il s'agit de cette envie de dépeindre le côté de la société que l'on ne veut plus voir. En ce sens, Christian Roux fait partie de cette génération qui fait revivre ce genre méprisé qu'est le néo polar.
Christian Roux: les projets avec ou sans les mots/maux
Le néo polar est né en France au début des années 70. Fer de lance de ce nouveau genre littéraire appartenant à la grande famille du polar, la Série Noire de Gallimard et ses auteurs sortent le polar français du carcan rigide des truands et de leurs mésaventures avec les flics pour créer une vague de contestation post 68. Le roman policier français se fait alors le porte-voix de la dénonciation des inégalités, du racisme, des injustices et des magouilles du pouvoir.
Un roman social, des anti-héros violents en guerre contre la société et des auteurs oscillant entre l'image de la décadence de la société d'aujourd'hui et la nostalgie des polars d'hier. Ces romans s'imprègnent de la politique au sens noble du terme (la vie dans la cité) pour combattre la politique au sens galvaudé du terme (celle des politicards). Des auteurs de renom sortent de cette écurie avec talent. On peut citer Frédéric H. Fajardie qui jette le plus gros pavé dans la mare avec son roman anarchiste, La nuit des chats bottés publié la première fois en 1975. Grand classique, selon l'auteur il s'en vend encore un par jour de nos jours. Il y a aussi Jean-Bernard Pouy qui créera le personnage du Poulpe plus tard aux éditions de La Baleine. On pourrait citer encore beaucoup de noms (Jonquet, Japrisot, Daeninckx..) mais nous n'en ferons pas un catalogue long et fastidieux.
Au cours des années 80-90, le genre est tombé en désuétude et le public ne s'en est plus intéressé. Certains auteurs comme Fajardie continuait (Jusque peu malhuereusement ...)d'écrire tout en s'ouvrant à d'autres genres, mais ils restent isolés. Puis une nouvelle génération d'auteur ressent l'envie de jeter à leur tour le pavé dans la mare. L'un des premiers à le faire avec succès et en étant plébiscité par le public est Jean-Claude Izzo avec sa trilogie Montale. Il amène une nouvelle subtilité au genre. Ses romans ne traitent pas de politique mais sont immergés dans la politique. On ne dénonce pas directement mais on fait un état des lieux qui ne laisse pas de doute sur la direction à prendre. Un prochain dossier sera consacré à cet auteur et à son apport non négligeable au polar français.
De la même façon que DOA par exemple, Christian Roux s'est engouffré dans cette brèche parce qu'elle représentait ce qu'il voulait faire. Parler de ce qui l'entoure tout en racontant des histoires pour donner au tout plus d'épaisseur. Et c'est ce qu'il fait dans chaque domaine qu'il touche. Au théâtre, en tournée actuellement, Le Rêve d'Alvaro nous conte la mondialisation sous la forme d'une farce burlesque. Six femmes, dans un décor fixe rejoue la guerre de Troie sous fond de mondialisation et de modernité. Une vingtaine de rôle sont joués par ces six seules femmes. Vous êtes pris dedans et imaginez les scènes sans mal. Et Christian Roux illustre musicalement le propos de façon admirable. De la même façon, dans Défardé, l'album qui doit sortir cet automne, Christian nous enchante véritablement avec sa voix grave en nous parlant de ces thèmes qui lui tient à coeur. Allez faire un tour sur http://www.nicri.fr/ où certains morceaux sont en écoute.
Mais la littérature?... Comme je l'ai déjà dit, Placards va enfin être réédité très prochainement en poche. Et, l'auteur nous a confié qu'une adaptation au cinéma de Braquages étant en travail au niveau du scénario. Je vous en reparlerai très vite. Un nouveau roman est également en préparation. Et une nouvelle inédite est insérée dans le recueil La France d'après où il traite d'un thème qui le touche particulièrement, les intermittents du spectacle. Une petite merveille condensée. Lisez-la si vous doutez du talent de cet auteur.
5 commentaires:
Un très bel article qui donne envie de découvrir les romans de Christian Roux, je vais commander Braquages.
Merci
Je suis certain que tu ne le regretteras pas.
J'ai lu Braquages et comme tu l'écris c'est magistral, je commande la suite.Merci.
Oui! Oui!Enchaine avec Les ombres mortes! Je reviendrai parler de chacun des romans plus précisément bientôt!
Placards est épuisé en revanche. Mon petit commentaire sur Braquages :
Braquages de Christian Roux est un roman policier à part. L’originalité de l’histoire et de l’intrigue, des personnages atypiques et une critique sociale voilée confèrent à cette première œuvre de l’auteur un caractère irrésistible.
Hensley, appelé le metteur en scène, recrute quatre SDF pour monter une équipe de braqueurs professionnels. Une préparation militaire sophistiquée va les porter vers leur première opération qui se soldera par un curieux résultat inattendu. Une spirale infernale dévoilera des pans de la société que la morale aimerait oublier. Le chef d’orchestre se fait doubler et doit affronter les plus sanguinaires des nazillons qui ont composé une scène effroyable.
L’écriture est sobre et sans fioriture pour être efficace et aller à l’essentiel. Le suspense et les rebondissements bien agencés captent tout l’attention du lecteur. Enchanté par ce premier roman, j’ai commandé les autres œuvres de Christian Roux.
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