Les monstres sacrés

La littérature fantastique est large. Par définition, il s'agit d'une fiction où les personnages jouent les équilibristes entre le réel et l'irréel. Une cause plus ou moins réaliste doit pouvoir remettre en place les choses et les expliquer. Ainsi, le vampirisme ou la lycanthropie sont présentés en général comme des maladies. Et elles trouvent de toute façon leurs origines dans des maladies réelles qui ont été extrapolées par la conscience collective.
C'est cette conscience collective qui crée, réinvente et finit par détruire de nombreux mythes et légendes: premiers récits fantastique de l'histoire. En effet, les mythologies et autres légendes ancestrales sont la base des récits fantastiques d'aujourd'hui. Mais une révolution a eu lieu durant l'ère romantique et gothique, courants littéraires que l'on associe souvent et pas forcément à tort. Durant cette période donc, des auteurs ont changé la façon d'écrire et de raconter les peurs humaines. Et de cette façon, ils les ont immortalisées. Aujourd'hui, toutes les histoires fantastiques sont écrites sur ces bases. Bases que l'on peut regrouper sous trois formes, sous trois peurs: la peur de l'inconnu, celle de soi et enfin celle des créations. Et trois classiques illustrent ces peurs. Ce sont respectivement Dracula de Bram Stroker, L'étrange cas de Dr Jekyll et Mr Hyde de RL Stevenson et Frankenstein de Mary Shelley.
Je vous en propose ma vision

Bram Stoker~Dracula             
La peur de l'inconnu

Europe de l'ouest. Une région montagneuse, à la frontière de l'Europe avec la Turquie. Une région où les vieilles légendes hantent les esprits chaque jour... chaque nuit. Un clerc, Jonathan Harker, vient rendre visite à un vieux noble: le comte Dracula. Loin d'être de courtoisie, cette rencontre n'a qu'un but professionnel. Il est question de finaliser une transaction immobilière. Le comte s'installe dans la banlieue londonienne. Les cartes sont distribuées. Harker se rend compte de la véritable nature du comte. Et il rencontre les terribles secrets qui dorment dans les soubassements de son château. L'engrenage infernal commence et arrive sur Londres. Les amis de Jonathan essaie de comprendre ce qu'il se passe. La réalité dépasse leurs cauchemars.
Et vous, vous êtes prêt à lire un mythe fondateur?

Oubliez toutes les versions édulcorées et érotico-horrifiques, il s'agit ici du mythe originaire. A partir duquel tout est parti. Avec ce roman, Bram Stoker a réinventé le fantastique du vampire. Pourquoi réinventer?... La créature a toujours existé à travers le monde et ses différentes mythologies. L'auteur a réuni les différentes versions folkloriques, et a tenté d'en sortir un vampire nouveau et crédible. Il y a réussi. Tout le monde considère le carcan ainsi créé comme étant celui du vampire. Et les nouveaux romans sur le même thème ne sont souvent que des redites. Exceptions faites de Salem de Stephen King (qui arrive à réinventer le genre en sauvegardant les bases) et le cycle écrit par Anne Rice.
Mais est-ce sa seule qualité?... Je vous répond clairement: NON. Dracula est un roman magnifique en tant que tel. Sa principale qualité est sa narration. L'histoire nous est contée à travers des extraits de journaux intimes ou de correspondances. A travers cet artifice littéraire, la nature du narrateur change constamment ainsi que le point de vue exprimé. Par conséquent, il arrive que l'on ait deux points de vue différents pour une même scène. Le tout nous donne une impression d'œuvre complète. On est immergé dans ce Londres de fin de siècle, ou dans ces Carpathes intemporelles.
Pourquoi la peur de l'inconnu? Parce que ce roman est construit dans son ensemble sur la thématique de la suite après la Mort. Dracula est le symbole même de la créature qui ne meurt jamais... ou presque. Dans ce même thème, vous retrouvez les zombies par exemple. C'est un sujet qui a toujours passionné l'esprit humain. De l’Égypte antique à nos temps modernes, vous trouvez quantités de romans ou d'études motivés par cette frayeur. Avec Dracula, Bram Stoker s'empare de cette phobie pour pondre un roman qui nous plonge dans un état profond primaire de survie.
Les films... Il fallait bien que j'en parle. On a loué le film de Francis Ford Coppola comme étant la meilleure adaptation. Par rapport aux autres?!... Sûrement. Sinon, il n'accède pas à la moitié de la force du roman. La narration est de toute manière inadaptable de par sa spécificité. Paradoxalement, le long métrage suivant le plus fidèlement la trame narrative est Dracula, Mort et heureux de l'être de Mel Brooks (sic)...

En conclusion, pour tous les aficionados de littérature fantastique, et tous ceux qui aiment lire, il vous faut ce roman dans votre bibliothèque. Il vous charmera.


Robert Louis Stevenson~L'étrange cas de Dr Jekyll et Mr Hyde
La peur de soi
Deux gentilshommes se promènent comme à leur habitude, dans une rue calme de Londres. Ne disant mot, le silence est la règle lors de leurs promenades dominicales. L'un des deux le brise en racontant une étrange anecdote. Un soir, lors d'une promenade similaire, il vit un étrange homme, qui lui fit ressentir de la répugnance, piétinant une petite fille allée chercher un médecin. Ce qu'il ne se doute pas est que cet homme répugnant était Mr Hyde. Personnage dont son interlocuteur a déjà entendu parler par l'intermédiaire de son ami, le bien-aimé Dr Jekyll.

Tandis que le roman de Stoker symbolise la peur de l'Inconnu, celui-ci résume à lui seul la peur de soi. Et ce, au même titre que le mythe du loup-garou par exemple.  Nul ne sait de quoi il est vraiment capable en situation extrême. L'Humain a en lui ce côté primal sous le vernis de la vie en société. Nous sommes tous capables du pire. Dieu sait quel monstre se cache en nous. Tout est construit autour de cette idée: si on gratte un peu, on tombe sur quelle sorte de créature?
L'intrigue présentée ici est connue de tous.Quoique... Un savant est lassé de vivre selon les codes établis par ses semblables. Il sent en lui une envie d'aller contre. Il y travaille à travers sa passion pour la chimie. Il y réussit et crée le personnage de Hyde ("caché" en anglais). Cet Hyde est un petit homme trapu et sans morale. Il n'est pas mauvais en soi mais ne connaît pas les barrières morales créées au fil du temps par l'Humanité. Nous assistons donc à la déchéance de l'humanité du Docteur Jekyll malgré lui. Il est dépassé par son côté immoral.
Aspect positif du roman, nous assistons à cette descente aux enfer à travers le regard externe de son ami et notaire. Celui-ci s'inquiète mais ne comprend pas que Hyde et Jekyll sont la même personne. Bluffant, et étonnamment très humain. Cet écrit atteint à peines les 120 pages mais vous les dévorerez.
Vous enchaînerez, tout comme je l'ai fait, avec Frankenstein de Mary Shelley. Et vous aurez fait le tour de ces trois classiques.


Mary Shelley~Frankestein ou le Prométhée moderne

La peur de nos créations
Frankenstein est un jeune homme de la région de Genève qui s'intéresse aux sciences. Il est curieux des choses de la Vie. Une fois à l'université, il lui vient l'idée qu'il est possible de créer la vie. De donner la vie à un être qui en est dépourvu. Cette idée devient le centre de toutes ses réflexions. Par orgueil, il veut prouver la véracité de ses thèses. Il s'active alors, et réussit. Il crée un être dont les proportions sont supérieures à la moyenne. Et ce tout simplement par facilité. Ce jeune homme est effrayé par ce qu'il a réussi à faire, et regrette... Un peu tard... Le mal est fait et vit.
Une fois encore, tout le monde connaît ce début. Le créateur et sa créature. Seulement, une fois encore (décidemment...), l'imaginaire collectif a pris possession de cette histoire et l'a déformée. La machine hollywoodienne a largement contribué à cette désinformation. Il est certes plus aisé d'effrayer avec un être qui tue tout le monde parce que dénué de toute humanité.
L'intrigue est plus complexe que cela. La créature s'échappe du laboratoire alors que le jeune Frankenstein fuit le danger qu'il a lui-même imaginé et créé. Le monstre n'est pas celui que l'on croit. Le savant abandonne sa création sans s'en inquiéter outre mesure. Il la sait disparue mais ne se demande pas où!... Celle-ci erre dans le froid et cherche à comprendre comment fonctionnent les êtres qu'il croise. Elle découvre la vie, et la solitude. Elle découvre l'amour, et la haine dans la seconde. Alors qu'elle n'apparaît réellement qu'à la moitié du roman, elle est présente à travers chaque mot du narrateur... qui n'est autre que Frankenstein.

En effet, il raconte son histoire sur son lit de mort à son compagnon des dernières heures. Il nous apparaît comme un homme imbu de lui-même qui ne cesse de se plaindre (certes il en a des raisons) mais ne cherche pas à comprendre les agissements de sa créature. Agissements parfaitement répréhensibles, mais compréhensibles. Nous avons donc affaire à un roman subjectif où le lecteur doit de lui-même faire la part des choses. Il doit prendre la place de la créature (qui n'a pas de nom) et du savant de façon alternative. Quand on connaît le chemin initiatique de la créature, c'est lors de la rencontre entre les deux. Par conséquent, tout est question de subjectivité et d'appréhensions de la vie. 
La peur de nos création pointe justement cet aspect-là. L'humain a la capacité de créer de nouvelles choses, et de modifier la nature pour qu'elle se plie à ses volontés. Mais lorsque ces créations ont une volonté propre, la donne change et les choses n'évoluent pas forcément dans le bon sens. En nous, nous avons tous cette appréhension d'être dépassé par nos actes et leurs conséquences. C'est exactement de cela que traite ce roman, ou encore la série des Godzilla. Le thème est donc de manière plus générale la création humaine et les revers de la connaissance.
A noter enfin qu'un film produit par Francis F. Coppola et réalisé par Kenneth Branagh est relativement fidèle au matériau original. Il s'agit de Mary Shelley's Frankenstein avec Robert De Niro.


Ainsi, les trois grands champs sont couverts par les trois pilliers de la littérature fantastique. Vous pouvez répertoriez tous les films ou tous les romans fantastique, ou d'horreur, et vous retomberez sur une de ces trois peurs. Et de manière plus littéraire, ces trois romans sont à la base de toute une série d'adaptations et de dérivés. Rien que pour ça, il faut que vous jetiez un coup d’œil.
Et la conclusion ne serait-elle pas que le monstre le pire est l'humain?... A vous d'y réfléchir!

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