Philippe Heurtel

Fabien Sonntag = Bonjour Philippe,

Qui êtes-vous ? Plutôt un Psyko ou une Victime ?

Philippe Hurtel= J’espère bien ne pas être une Victime. Pas parce qu’elles se font zigouiller de manière horrible (enfin, si, il y a de ça aussi), mais parce qu’elles sont affreusement passives et consensuelles. A la rigueur, je préférerais être une Victime morte : les vivantes sont trop ennuyeuses. Et plutôt le binoclard de service que le quaterback musclé : le seul sport qui trouve grâce à mes yeux, c’est la gymnastique des zygomatiques.

Un Psyko, alors ? Dans ce cas, un gentil Psyko qui ne ferait pas de mal au gens. Nosfy, le vampire pantouflard. Igor, qui n’embête personne à part les morts, mais je suis trop beau pour être un Igor, alors plutôt un Savant Fou de l’écriture, ça je veux bien : bricoler des romans avec des bouts d’autres trucs, puis, après avoir tapé le mot « Fin », lever les bras au ciel et s’exclamer : « It’s alive ! Aliiiiiiive ! ». Heu, à la réflexion, c’est une pas trop mauvaise définition de ce qu’est Psykoses, non ?

Finalement, les seuls personnages vraiment sympathiques de ce livre sont les extraterrestres communistes. Peut-être suis-je un peu Itty, le céphalien scientifique, et un peu Klatoo, le bug eyed monster romantique.

Mais en beaucoup plus beau.


Pouvez-vous nous expliquer comment est née l’idée de Teen Town ?

En lisant le roman de Michel Pagel Cinéterre (http://www.actusf.com/spip/article-2198.html), qui, comme son titre l’indique, se déroule dans un univers de cinoche, puis en enchaînant sur le jeu de rôle Brain Salad de Willy Favre, qui baigne en plein dans l’univers des séries B/Z et des slashers. Ça a fait tilt car, à l’époque, je visionnais depuis quelques années déjà des nanars avec des potes. Ces deux bouquins m’ont donné envie d’écrire à mon tour sur les clichés de ces films qu’on aime tant. M’en moquer, un petit peu, et surtout leur rendre hommage.

Partant de là, j’ai conçu assez rapidement l’univers de mon livre, les castes, les personnages, et je me suis lancé dans l’écriture du premier récit. Sans trop savoir où j’allais, c’est vrai, ce qui explique que le premier récit, Teen Town, soit plus court et très linéaire. Pour Retour à Teen Town, en revanche, j’ai pris plus de temps pour réfléchir aux personnages et à l’intrigue. J’ai écrit un plan assez détaillé, que j’ai suivi à 95%. Le résultat est plus abouti, je pense.


Les ZAZ, les films de slasher et les romans de Pratchett. J’ai cité toutes vos références ?

Dans le mille !

D’abord, bien sûr, les films de slasher, les bons comme les séries Z au scénario et à la réalisation fauchés. Ça, c’est le fond de commerce de l’univers de Teen Town. Et ce sont les références que j’ai volontairement inclues.

Les ZAZ, oui, il y a de ça, c’est clair. L’influence n’est pas consciente, je ne me suis pas dit « Je vais faire de l’humour à la ZAZ » comme j’ai pu me dire « Je vais faire du slasher », mais ces films m’ont beaucoup fait rire quand j’étais plus jeune, et cet humour m’a manifestement influencé.

J’aimerais ajouter des films plus récents comme Shaun of the dead ou Galaxy Quest, bien que l’influence soit plus subtile. Je dirais qu’il y a deux genres de films parodiques. Il y a les Scary movies et compagnie qui, en schématisant, se contentent de reprendre des scènes de films connus et de les détourner sans imagination, et derrière lesquels on ne sent pas d’amour pour le genre parodié. Ceux-là ne me font pas rire. Et il y a les films mentionnés plus haut qui, eux, savent capter l’essence du genre parodié, et à le combiner avec une idée originale. Galaxy Quest, par exemple, ce n’est pas du Star Trek, et pourtant, l’esprit de Star Trek y est partout ; on ajoute une bonne idée, un hommage aux fans (l’amour du genre dont je parlais précédemment), et voilà un des meilleurs films de SF humoristiques qui aient été tournés. Voilà ce vers quoi, à mon modeste niveau, j’essaie de tendre dans l’univers de Teen Town : capturer et restituer l’essence du nanar, du slasher-movie, du film de SF parano des années 50, et l’injecter dans une création personnelle.

Pour terminer avec les références cinématographiques, je voudrais citer Truman show, pour le côté ville sous cloche, et surtout cet excellent film qu’est Pleasant ville. Le cours d’histoire-géo du chapitre 5, le concept de nation réduit à une ville unique et le conditionnement des Victimes si casanières lui doivent beaucoup, je crois.

Enfin, l’influence de Pratchett, plus précisément du Disque-Monde. Là aussi, elle n’est pas volontaire, je ne me suis pas dit « Tiens, je vais faire comme Pratchett ». Mais je suis tellement imprégné par ses livres que, forcément, elle s’est glissée dans ce que j’ai écrit, j’en suis tout à fait conscient. L’influence du Disque-Monde est présente dans Psykoses à de nombreux niveaux. Des petits détails comme les notes de bas de page ou les séparateurs graphiques liés au thème du récit, sans doute certains dialogues et personnages. Le fait d’écrire plusieurs histoires (à ce jour, deux romans et une nouvelle) se déroulant dans les mêmes lieux, avec des personnages récurrents (qui ne seront pas nécessairement présent à chaque fois), des nouveaux personnages qui, éventuellement, deviendront récurrents. Et puis le fait que chaque roman explorera un thème particulier : le slasher movie dans Teen Town, les films d’extraterrestres des années 50 dans Retour à Teen Town, et j’ai d’autres idées. Evidemment, la logique interne du Disque-Monde, c’est un des tours de forces de cet univers, et non des moindres, permet à Pratchett d’aborder absolument n’importe thème, alors que l’univers de Psykoses est bien plus limité, mais c’est normal : Pratchett, c’est le Maître, point.

Il y a une autre influence pratchetienne dans Psykoses, et c’est la lecture d’une interview de Catherine Dufour qui m’en a fait prendre conscience. Catherine Dufour explique que si la fantasy crée du merveilleux à partir du quotidien, Pratchett, au contraire, crée du quotidien à partir du merveilleux. C’est une vision très pertinente du Disque-Monde. La démarche de Psykoses est similaire : le fantastique crée de l’horreur à partir du quotidien (et c’est pour cela que l’horreur fonctionne : parce qu’il y a identification avec les protagonistes qui sont, en règle générale, des gens normaux) ; Psykoses, à l’inverse, crée du quotidien à partir de l’horreur. Des fous furieux qui découpent des gens à la tronçonneuse, c’est horrible, mais quand un jeune Tronçonneur se voit confronté aux doutes de l’adolescence à la manière tortueuse des Psykos, ça peut devenir drôle.

Pourquoi écrire un slasher donc sous ce ton parodique au lieu d’en écrire un ? Et ce alors que l’on sent l’intérêt que vous portez à ce genre. J’ai même envie de parler de passion.

En fait, ce ne sont pas tant les slashers pris individuellement qui m’intéressent, que l’ensemble de ces films considéré en tant que genre, en tant que culture oserais-je dire, avec ses classiques, ses dignes héritiers, ses médiocres copies, ses codes et ses clichés, ses fans, les œuvres référentielles que le genre finit par générer (Scream). L’univers du comics m’intéresse pour les mêmes raisons (j’ai d’ailleurs écrit une nouvelle d’inspiration comics), mais on s’éloigne du sujet. Donc, écrire un slasher, un vrai, un de plus, non ça ne m’intéresse guère, pas autant qu’écrire sur le slasher.


Parmi les figures emblématiques utilisées, il en manque quelques unes (comme Chuky, Mike Myers ou encore le monstre de Frankenstein…) Elles ne méritent pas leur place dans votre panthéon, ou leur absence cache des surprises ?

Chucky, heu… je l’ai oublié ! Il n’est pas évident à placer, car ses films sont toujours à la limite de la parodie ; ceci dit, je note l’idée, elle peut resservir. Myers fait partie des 12 castes majeures, mais je ne l’ai pas du tout exploité (pareil pour Freddy, entre parenthèses) : je ne pouvais pas donner un rôle à tout le monde ; les Psykos ont des personnalités très envahissantes, si je mets tout le monde dans la même pièce ils vont se marcher sur les pieds. Sinon, le Docteur S. est un savant fou frankensteinien, mais je n’ai pas mis de monstre de Frankenstein, en effet, pour la même raison : si j’en mets trop d’un coup, ça va devenir indigeste. Une autre fois, peut-être ?

Dans le second court roman, vous vous attaquez aux films SF avec l’arrivée d’extraterrestres communistes sur la pauvre ville de Teen Town.

Quel sera le domaine du prochain, votre prochain terrain de jeu ?

J’ai quelques idées de romans faisant suite à Psykoses, mais vu mon rythme d’écriture, tant que ce n’est pas commencé, je préfère ne pas en parler. Ce qui est sûr, c’est que le magazine Lanfeust Mag va publier cette année, je ne sais pas quand précisément, une nouvelle se déroulant dans l’univers de Teen Town. En fait, j’ai développé le « conte pour Psyko » auquel Mordon fait allusion au début du chapitre 12. C’est l’histoire des trois petits cochons et du grand méchant loup, mais version Victimes et Psykos… A court terme, je vais également travailler avec Vincent Corlaix sur un court récit en BD. Vu l’excellent travail qu’il a fait sur la couverture, j’ai intérêt à être à la hauteur pour le scénario !


A travers cet ouvrage, le lecteur prend en pleine figure votre culture cinématographique. Vous dévorez combien de films par jour ?

Pas tant que ça, je trouve. Je connais les classiques, bien sûr, ceux qui ont inspirés les personnages archétypaux. Je visionne de temps à autre des nanars, des trucs improbables que dénichent mes copains. Tout cela m’a bien servi pour les clichés, les archétypes, les références. Mais je ne suis pas un érudit, loin de là. Les personnes avec qui je visionne ces films, eux sont des pointures, du genre à avoir vu à sa sortie en salle un film de zombies thaïlandais, ou à débusquer une histoire de momies extraterrestres issues d’expériences sur des lesbiennes nymphomanes (si, ça existe). Ils font d’ailleurs une très courte apparition dans Retour à Teen Town, je leur devais bien cela.


Votre dernier coup de cœur ?

J’ai loupé plein de films, cette année. Coup de cœur, c’est Dark Knight et No country for old men. Sinon, les trucs plutôt sympas que j’ai vu récemment : Coluche, Kung Fu Panda, Hancock, JCVD, Rec, Californication


Et au niveau littéraire ?

A part Pratchett, je me prosterne devant Jasper Fforde, l’auteur de la série Thursday Next. Il a créé un univers incroyablement riche. Et puis surtout, Fforde est drôle. Sinon, dernièrement, j’ai beaucoup aimé Gradisil, d’Adam Roberts, une vision originale de la conquête de l’espace, et une belle plume. Et je suis Robert Wilson, un auteur vraiment intéressant.


Parlez nous de vos projets à plus ou moins long terme

Dans le désordre : la suite de Psykoses, un roman humoristique mais pas dans l’univers de Teen Town, un roman pas humoristique mais je ne sais pas lequel je piocherai dans ma liste d’idées, et un recueil de nouvelles de SF humoristique. Comme je n’écris pas très vite ni assidûment, je préfère ne pas trop m’avancer, sinon après j’aurais l’air couillon. Le projet le plus susceptible d’aboutir en premier est le recueil de nouvelles.


La dernière question est rituelle (ou du moins elle va le devenir puisque vous inaugurez la section interview ;-) ) : qu’est-ce que l’art de lire pour vous ?

Ben c’est le nom de ce site, non ? Trop facile la question. Ah, ce n’était pas la question.

L’art de lire, c’est:

Ressortir d’une librairie sans avoir besoin d’une brouette pour emporter les livres qu’on n’a pu s’empêcher d’acheter

Arriver à choisir, parmi la pile de bouquins non lus qui s’entassent à la maison, le prochain qu’on va lire.

Et ce n’est pas facile. C’est pour cela que c’est de l’art.


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